La magie poétique du cinéma chinois

2021-12-27 18:35:51|La Chine au Présent

Je m’appelle Léo, j’habite dans le sud de la France, à Perpignan, en terre catalane. Cela vous paraît sans doute anecdotique, car cette ville de France semble si éloignée de tout. Loin des agitations du monde, une sorte de lieu bien à nous, les Catalans. Mais c’est aussi une formidable terre d’accueil. J’aime ma ville, j’aime cette région où je suis né, très loin de la Chine. Pour autant, j’ai l’impression de connaître ce pays qui me fascine.

À Perpignan, nous avons la chance d’avoir en centre-ville un cinéma indépendant, le Castillet. Cela m’a permis de développer ma culture cinématographique. C’est au cœur d’une petite salle que j’ai rencontré le cinéma chinois. Et c’est tout à l’honneur de la direction de cet établissement, à l’autre bout du monde, que de m’avoir donné accès à cet art chinois délaissé par les médias français. Je suis plus qu’étonné de voir que très peu de personnes s’intéressent à l’immense richesse de styles, d’écriture, de photographie ou même de poésie qui se trouve dans le cinéma chinois. Quand, avec mes amis, j’évoque ce cinéma, ils pensent toujours à des films à sensations comme Détective Dee : La légende des rois célestes de Tsui Hark (2018). Mais pour moi, cette vision est bien trop restreinte.

138909459_15850456027021n.jpg

Un cinéma riche et varié

Le cinéma chinois foisonne de films d’auteur qui nous font rencontrer la Chine véritable et quotidienne, loin des clichés. Je pense par exemple à Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang (2020). Entre la tendresse des scènes, la vie s’écoule le long des temps de la nature. C’est un tableau magique qui nous fait entrer dans la culture chinoise, dans son quotidien, qui semble si loin de nous, avec ses rites différents, sa nourriture et ses constructions sociales. Mais il y a ce temps, cette fluidité de la vie qui est soulignée. Vous l’aurez compris, dans le cinéma chinois, on découvre que les Chinois ont des sentiments, comme nous, Occidentaux : ils souffrent, aiment, vivent...

Ils expérimentent, questionnent le monde, comme dans An Elephant Sitting Still de Hu Bo (2018). Nous suivons des personnages dans leurs quêtes, qui nous font découvrir la Chine de l’intérieur. Pour les amoureux de films à suspens, il faut absolument découvrir Les éternels (Ash is purest white) de Jia Zhangke (2018). Une histoire d’amour, passionnée et passionnante, où la jeune Qiaoqiao tombe amoureuse de Binge, un chef de gang. Dans les couleurs du film, dans ses cadrages, on découvre une Chine aux multiples facettes, entre son déploiement de modernité et les rêves d’amour perdu de la jeune femme. Un film saisissant.

Un autre film policier, Le Lac aux oies sauvages de Diao Yi’nan (2019). Une musique entraînante et une chasse à l’homme des plus impressionnantes. J’en ai eu le souffle coupé par tant de rebondissements de jeux sur les lumières.

Pour ceux qui souhaitent comprendre les bouleversements de la Chine à l’aube des années 1980, il faut regarder le magistral So long, my Son de Wang Xiaoshuai (2019). L’histoire d’un couple heureux et amoureux qui va traverser tragiquement la période de la politique de l’enfant unique. Sur fond de renversement économique, cette histoire individuelle met en avant la force des citoyens pour se relever de tout au nom de l’importance du collectif.

Pour les romantiques, Un grand voyage vers la nuit de Bi Gan (2018). Un film onirique, magique, féérique qui mêle imaginaire et recherche du grand amour d’enfance. Luo Hongwu revient à Kaili (sa ville natale) afin de retrouver la femme qu’il a jadis aimée et qui est dans sa mémoire. Entre ombres et lumières, portés par la musicalité des mots, les plans nous entraînent dans un émerveillement permanent.

L’Adieu de Lulu Wang (2019) est un film qui m’a particulièrement touché. Il narre l’histoire de la réalisatrice, Américaine d’adoption, qui revient en Chine pour faire ses adieux à sa grand-mère mourante. Il met en avant les différences culturelles, les approches entre la vision américaine et la vision chinoise. Cette œuvre bouleversante souligne l’importance de la famille, du groupe, aux yeux de la culture chinoise. Une véritable bouffée d’émotions.

À présent, un film renversant, qui nous questionne sur le réel de notre expérience : Three Adventures of Brooke de Yuan Qing (2018). Xingxi, une jeune Chinoise, voyage au nord de la Malaisie. Alors qu’elle est victime d’une crevaison de vélo, elle va vivre trois histoires, trois expériences en parallèle. Vivons-nous dans une seule temporalité ou vivons-nous en permanence dans l’impermanence ?

137920507_15534350081731n.jpg

Une porte sur la Chine

Je souhaite vous donner quelques éléments qui me font aimer le cinéma chinois. Tout d’abord, celui-ci est caractérisé par une certaine esthétique qui oscille entre le classicisme et une nouvelle façon de voir le monde, comme si les cinéastes avaient repris certains codes de l’histoire esthétique occidentale en les fusionnant avec la culture chinoise. C’est un savant mélange de jeux de lumières (un clair-obscur) et de cadrages photographiques (comme dans les films de Peter Greenaway) qui nous entraîne dans la découverte d’un cinéma qui nous prend aux tripes. Impossible de rester insensible face au cinéma chinois qui ne ressemble à aucun autre.

Ce qui est remarquable, c’est que nous avons de plus en plus accès à ce cinéma chinois d’auteur. Sans aucun doute, la création du Festival du cinéma chinois en France en 2011 y est pour quelque chose. Mais si le cinéma d’auteur a autant d’importance à mes yeux, je dois noter une grande première : en 2019 est sorti le film The Wandering Earth de Frant Gwo. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est le premier film du genre chinois (une superproduction de science-fiction). Il reprend l’histoire du roman éponyme. Dans celui-ci, au lieu d’une solution proposée aux riches Américains, conduisant ainsi le reste de l’espèce humaine à une mort certaine, les scientifiques chinois imaginent une solution de déplacement de la terre afin de sauver un maximum de personnes, voire toute la population mondiale. Même si ce n’est pas tout à fait mon genre de film, j’ai adoré voir une solution proposée par la Chine, et voir les Chinois en sauveurs du monde. Cela change radicalement des visions accablantes offertes, depuis des décennies, par le cinéma américain. Pour ceux qui auraient peur de passer d’un extrême à l’autre, je vous invite à découvrir Legend of the Demon Cat de Chen Kaige (2017). D’abord parce que ce réalisateur a un parcours incroyable : après une expérience en tant que soldat, il intègre, en 1978, l’Académie du cinéma de Beijing. Une fois diplômé, il entre aux Studios de Beijing. Legend of the Demon Cat est un excellent point de départ pour ceux qui voudraient se plonger dans le cinéma chinois. Il nous projette dans une période de l’histoire de la Chine peu abordée : la dynastie des Tang. Cette production met en évidence toute la force de la culture et de la civilisation chinoise : une ingénierie incroyable (qui se retrouve dans les effets spéciaux), une poésie (dans les images comme dans l’intrigue) et une féérie à nulle autre semblable.

Que retenir de cette immersion au cœur du cinéma chinois ? C’est que cet art érige de ponts entre les civilisations. Ce que le cinéma chinois donne à voir, c’est une culture qui sait honorer son passé tout en étant tournée vers le futur. Une culture de fusion où le réel ne se limite ni à sa noirceur ni à sa douceur. Le réel est en mouvement, une poésie de l’éternité continue.

*LÉO BESSIS est étudiant en master de communication.