La diffusion de la poésie chinoise ancienne en France

2022-02-24 13:26:05|La Chine au présent

Le 2 novembre 2021, Elon Musk, PDG de Tesla, a cité l’ancien poème chinois Quatrain des sept étapes sur Twitter, déclenchant un débat animé parmi les internautes qui l’ont surnommé « le meilleur promoteur » de la poésie chinoise antique.

En France, les gens ne sont pas non plus étrangers à la poésie chinoise. Il y a 286 ans, de grands poètes chinois, tels que Qu Yuan, poète patriotique, Li Bai qui est appelé « poète immortel » et Du Fu qui est surnommé « poète sage », ont été introduits en France.

Le XIXe siècle : premières anthologies

La poésie sous la dynastie des Tang a été « découverte » pour la première fois par les missionnaires français en Chine au XVIIIe siècle. En 1735, dans le deuxième volume de la Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’Empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, qui traite de la poésie chinoise ancienne, J.-B. Du Halde a présenté Qu Yuan, Li Bai et Du Fu, en comparant Li Bai au poète grec antique Anacréon et Du Fu au poète romain antique Horace. Plus tard, en 1780, dans le cinquième volume de Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, etc. des Chinois par les missionnaires de Pékin, Jean-Joseph-Marie Amiot a présenté la biographie de sept poètes chinois.

Cependant, ce n’est que dans la seconde moitié du XIXe siècle que des traductions françaises de la poésie chinoise ancienne ont commencé à être publiées en France. La première personne à avoir contribué de manière significative à la traduction et à la diffusion de la poésie chinoise ancienne en France est Léon d’Hervey de Saint-Denys, sinologue français et troisième professeur à la chaire des langues et littératures chinoises et tartares mandchoues au Collège de France. En 1862, il a publié l’anthologie Poésies de l’époque des Thang à Paris, la première traduction française des poèmes sous les Tang. En raison de la saveur unique de la poésie orientale et le raffinement de traduction de Saint-Denys, cet ouvrage était très populaire dans les salons littéraires sous le Second Empire de France.

En 1867, la poétesse française Judith Gautier a publié à Paris Le Livre de Jade, la deuxième anthologie de la poésie chinoise en langue française. Contrairement à l’ouvrage de Saint-Denys qui était plutôt une traduction modèle des poèmes chinois, Le Livre de Jade est un recueil de poèmes sur des sujets chinois que Gautier a créé, avec les conseils et l’aide de son précepteur chinois Ding Dunling, en utilisant des éléments de la poésie chinoise et en ayant recours à son imagination. En 1902, la deuxième édition du Livre de Jade, révisée par elle-même, a été publiée à Paris et a connu un grand succès. Cet ouvrage a été réimprimé plusieurs fois et traduit dans de nombreuses langues européennes pour une large diffusion.

En 1872, le sinologue français Jean-Pierre Guillaume Pauthier a publié la première traduction complète en français du Classique des vers (le plus ancien livre de poésie chinoise). En 1896, Séraphin Couvreur, un jésuite français en Chine, a publié une double traduction en français et en latin du Classique des vers, la deuxième traduction complète en langue française, dans le district de Xian (Hebei). La traduction de Séraphin Couvreur, meilleure que celle de Jean-Pierre Guillaume Pauthier, reste à ce jour la version française la plus fiable de cette anthologie chinoise.

Le XXe siècle : des efforts de traduction conjoints

Dans la première moitié du XXe siècle, un groupe a apporté une contribution importante à la traduction et à la diffusion de la poésie chinoise en France : il s’agit des savants chinois qui séjournaient en France à l’époque, notamment Tsen Tson-ming, Liang Tsong-tai, Hsu Sung-nien et Lo Ta-kang. La plupart de leurs travaux sur la traduction et l’étude de la poésie chinoise antique ont été publiés en France, mais certains ont également été publiés en Suisse, ou en Chine après leur retour. Les anthologies de cette époque-là sont les suivantes : Anciens poèmes chinois d’auteurs inconnus (1923) et Rêve d’une nuit d’hiver : Cent quatrains des Thang (1927) de Tsen Tson-ming, Les chants de Tseu-ye et autres poèmes d’amour (1932) et Anthologie de la littérature chinoise des origines à nos jours (1933) de Hsu Sung-nien, Cent quatrains des Thang (1942) et Homme d’abord, poète ensuite (1948) de Lo Ta-Kang. Quant à Liang Tsong-tai, il a traduit la poésie chinoise ancienne en collaborant avec des poètes français : il a travaillé avec Jean Prévost pour traduire cinq poèmes qui ont été inclus dans L’amateur de poèmes de Prévost.

Les traductions françaises de la poésie chinoise ancienne publiées dans la seconde moitié du siècle sont riches et variées, surtout Anthologie de la poésie chinoise classique (1962). Sous la direction du sinologue français Paul Demiéville, cette anthologie résulte du travail de seize sinologues français et érudits chinois et fait autorité dans la sinologie française. Au cours de cette période, les autres traductions importantes de la poésie chinoise ancienne sont les suivantes : Trésor de la poésie chinoise (1967) de Claude Roy, Le Clodo du Dharma, 25 Poèmes de Han-Shan (1975) de Jacques Pimpaneau, L’écriture poétique chinoise, suivi d’une Anthologie des poèmes des Tang (1977) de François Cheng, Li Qingzhao : œuvres poétiques complètes (1977) de Liang Paitchin, La poésie de Ji Kang (1980) de Donald Holzman, L’œuvre de Wang le Zélateur (1982) de Paul Demiéville, Vacances du pouvoir : Poèmes des Tang (1983) de Paul Jacob, Le mangeur de brumes, l’œuvre de Han-shan poète et vagabond (1985) de Patrick Carré, Entre Source et Nuage, la poésie chinoise réinventée (1990) de François Cheng, Amour et Politique dans la Chine ancienne : Cent poèmes de Li Shangyin (1995) d’Yves Hervouet, et Les Dix-neuf Poèmes anciens (2010) de Jean-Pierre Diény.

En 1911, le sinologue français Marcel Granet a traduit plus de 70 chansons populaires (un genre de poème du Classique des vers) dans sa thèse de doctorat « Fêtes et chansons anciennes de la Chine ». En 2019, la publication de Shijing, traduit par l’écrivain français Pierre Vinclair, est une nouvelle version du recueil Classique des vers.

Le XXIe siècle : la voix des traducteurs chinois

Depuis le début du XXIe siècle, avec l’essor de la puissance économique de la Chine et la diffusion mondiale de la langue et de la culture chinoises, les chercheurs chinois et étrangers ont commencé à redécouvrir et à comprendre l’essence de la culture traditionnelle chinoise.

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Xu Yuanchong (1921-2021) (Xinhua)

En Chine, certains précurseurs ont franchi des obstacles et ouvert une voie de la traduction de la poésie chinoise, notamment Xu Yuanchong (1921-2021), l’un des grands maîtres de la traduction en Chine. Parmi les œuvres de M. Xu, les traductions vers l’anglais et le français du Shijing, ainsi que des poèmes chinois des époques des Han, des Wei, des Jin, des dynasties du Sud et du Nord, des Tang, des Song, des Yuan, des Ming et des Qing, ont considérablement contribué à la diffusion mondiale de la poésie chinoise ancienne. En tant que grand traducteur, M. Xu a reçu notamment le prix d’Excellence pour une éminente carrière de traducteur décerné par l’Association des traducteurs de Chine en 2010, et le prix Aurore boréale, l’une des plus hautes distinctions internationales de la traduction. Ces dernières années, de nombreuses traductions françaises de M. Xu ont été publiées par diverses maisons d’édition en Chine et à l’étranger : en 1987, les Éditions en Langues étrangères ont publié Cent poèmes lyriques des Tang et des Song ; en 1999, les Éditions de l’Université de Beijing ont édité 300 Poèmes chinois classiques. Ensuite, la Maison d’édition de la communication de Wuzhou a publié les livres Poèmes choisis et illustrés du Livre de la Poésie (2006), Choix de poèmes et de tableaux des Tang (2008) et Choix de poèmes et de tableaux des Song (2005). En 2009, les Éditions Music & Entertainment Books ont publié les traductions de M. Xu de la poésie chinoise ancienne dans un ensemble intitulé Les plus grands classiques de la poésie chinoise, contenant Poèmes chinois du Livre Shijing, Poèmes chinois de la dynastie des Tang et Poèmes chinois de la dynastie des Song. En 2013, Dolphin Books a publié l’Anthologie de Xu Yuanchong en 27 volumes, dont le 15e volume est l’édition française de l’Anthologie des poèmes chinois classiques.

*L’auteure Jiang Xiangyan est professeure agrégée à la Faculté des études chinoises de l’École normale supérieure de l’Est de la Chine.