Jean-François Vergnaud : tisser des liens éducatifs sino-français

2022-03-29 09:41:57|La Chine au présent

Ouvrier du bâtiment, juriste dans un cabinet d’avocats, spécialiste en informatique de gestion, diplomate, enseignant de chinois et chercheur en études chinoises : si Jean-François Vergnaud, directeur français de l’Institut franco-chinois (IFC) de l’Université Renmin de Chine à Suzhou, a exercé de nombreuses professions, sa vie est indissociable de la Chine depuis sa première approche de la langue et de l’écriture chinoises en 1974.

Un professeur qui a changé sa vie

Né en 1952, Jean-François Vergnaud était ouvrier du bâtiment à l’âge de 16 ans à Nice. À cette époque, le jeune homme issu d’une famille d’agriculteurs et d’ouvriers pauvres se passionnait pour les changements considérables qui s’étaient produits en République populaire de Chine.

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Plage à Nice

En 1974, il a rendu visite à Wang Lengqiao (le père de Nora Wang, l’une de ses anciennes professeures d’histoire contemporaine à l’Université de Nice), qui s’était retiré à Nice pour y passer sa retraite après avoir longtemps travaillé au service de presse de la Société des Nations à Genève.

« M. Wang était le premier Chinois que j’aie jamais rencontré et, j’ignore pourquoi, j’ai été fasciné et j’ai voulu très vite apprendre la langue chinoise et surtout son écriture », se souvient M. Vergnaud.

La méthode d’enseignement de M. Wang différait totalement des usages en cours dans les universités françaises. À cette époque, l’enseignement du chinois reposait sur des manuels imprimés en Chine qui traitaient tous de la langue contemporaine. Avec M. Wang, rien de tel.

« Il a sorti de sa bibliothèque de vieux exemplaires jaunis des classiques confucianistes Les Quatre Livres et m’a dit : “voilà par quoi nous allons commencer.” Une fois Les Quatre Livres terminés, nous avons abordé le Laozi (Livre de la Voie et de la Vertu) et le Zhuangzi. Jamais il ne s’agissait d’extraits, nous commencions la lecture à la première page et l’achevions à la dernière », explique M. Vergnaud. « Les textes plus modernes n’étaient pas négligés non plus, du moins ceux du début du XXe siècle, tels que les ouvrages de Liang Qichao, Hu Shi et d’auteurs importants de cette époque. »

L’apprentissage du chinois avec M. Wang n’était pas facile, mais grâce à cette expérience, M. Vergnaud a acquis de solides connaissances en langue et culture chinoises ainsi qu’une nouvelle vision du monde. « L’étude des textes chinois anciens m’a ouvert l’esprit, a élargi ma compréhension des situations, y compris du monde contemporain, et m’a permis d’établir des relations aux autres fondées sur des principes qui n’ont jamais été un carcan dogmatique. Cet apprentissage m’a ouvert aux autres, sans jamais m’amener à juger que mes pensées pouvaient être supérieures à celles d’autrui », souligne-t-il.

Selon M. Vergnaud, M. Wang n’était pas seulement son professeur de langue. La langue écrite classique est un outil indispensable à l’apprentissage linguistique, mais elle est surtout un vecteur de transmission d’une culture, d’une civilisation et de valeurs d’humanité.

« Mon professeur ne m’a ainsi jamais donné à proprement parler de cours de civilisation, au sens où nous l’entendons aujourd’hui communément. La pensée d’un auteur, porteuse de civilisation, était contenue dans les textes et s’imprégnait en moi en profondeur », fait-il remarquer. « J’ai exercé de nombreuses professions au cours de mon existence, mais une seule chose n’a jamais varié depuis ma rencontre avec mon professeur : ma fidélité à son enseignement. »

Promouvoir les échanges universitaires sino-français

Après avoir exercé pendant près de trente ans le métier d’enseignant de langue et civilisation chinoises à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 et consacré toutes ses forces à créer et faire vivre un département du chinois, M. Vergnaud a été invité par le ministère français des Affaires étrangères à travailler à Beijing à l’ambassade de France, en tant que responsable de la coopération universitaire entre les deux pays.

« J’ai aussitôt accepté, car cette fonction me permettait d’élargir à partir d’un angle de vue différent les liens éducatifs entre les deux pays », déclare M. Vergnaud. À l’ambassade, il a réussi à concrétiser de nombreuses coopérations, mais l’action sur le terrain lui manquait. C’est la raison pour laquelle en 2010, au terme des trois ans de sa mission, il a répondu favorablement à l’invitation de l’Université Renmin de Chine de participer à la mise sur pied de l’IFC.

L’IFC de l’Université Renmin de Chine est le premier institut franco-chinois portant sur les sciences humaines et sociales, qui sont des spécialités fortes de l’Université Renmin, mais aussi des trois établissements français qui en sont partenaires : l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, Sorbonne Université et la Kedge Business School.

À l’IFC, outre l’acquisition de connaissances professionnelles et la maîtrise de plusieurs langues, les étudiants apprennent à connaître la société française et les modes de pensée à la française.

Selon M. Vergnaud, par rapport aux universités chinoises classiques, les étudiants de l’IFC bénéficient des avantages des modes d’enseignement français et chinois. Ils profitent d’une perspective et d’une expérience de communication interculturelle, qui ne s’acquièrent pas uniquement à travers les livres, mais grâce à l’immersion dans un environnement pluriculturel et plurilinguistique, ce qui leur permet d’avoir une meilleure compréhension d’eux-mêmes et de la valeur de leur propre culture.

« À l’heure où les êtres humains sont de plus en plus conscients de partager une seule et même planète, la Chine et la France, comme le reste du monde, ont besoin de talents capables de comprendre et de promouvoir un véritable dialogue entre les cultures. En effet, pour la première fois peut-être dans notre histoire humaine, toutes les civilisations existantes se rencontrent directement et simultanément », avance M. Vergnaud.

Selon lui, la coopération internationale est une nécessité à laquelle nous ne devons jamais déroger, car elle permet la compréhension et la communication et surtout elle permet d’apprendre mutuellement les différences entre les uns et les autres.

Il espère que l’IFC donnera aux jeunes générations les moyens d’appréhender le mieux possible les sagesses de l’Orient et de l’Occident, dont ils ont hérité, et ainsi d’être les pionniers d’un monde meilleur.

Témoin du développement de la Chine

En 1981, M. Vergnaud est arrivé pour la première fois en Chine en tant que doctorant en études chinoises. À cette époque, les étrangers et les étudiants internationaux étaient encore rares en Chine et faisaient donc souvent l’objet de la curiosité de la population. Il a constaté que les Chinois réservaient un accueil chaleureux aux étrangers. Il lui est arrivé de se rendre compte, après un repas dans un restaurant, que quelqu’un avait déjà réglé l’addition pour lui.

En 2007, lorsqu’il est revenu en Chine pour assumer sa fonction au sein de l’ambassade de France à Beijing, il a découvert le développement fulgurant du pays. « Que ce soit des années 1980 à 2007 ou de 2007 à nos jours, la Chine s’est développée si vite et à un tel point qu’il vaut mieux ne pas trop s’en éloigner, sauf à ne plus y retrouver ses habitudes anciennes », affirme M. Vergnaud.

Il se souvient que dans les années 1980, il lui fallait parfois passer des jours et des nuits dans un train pour se déplacer d’une ville à l’autre. Aujourd’hui, grâce à la fréquence des avions, mais surtout grâce aux TGV, les gens peuvent voyager d’un coin à l’autre du pays en quelques heures confortablement.

« De même, qui aurait pu imaginer, il y a quelques années, que plus personne ou presque n’utiliserait de billets de banque ou de pièces de monnaie pour ses échanges quotidiens ! Il y a une vingtaine d’années, les téléphones fixes à la maison étaient encore des raretés, mais aujourd’hui plus personne n’imagine que l’on puisse vivre une journée entière sans son téléphone portable », s’émerveille-t-il.

Ayant vécu à Suzhou pendant plus d’une dizaine d’années, M. Vergnaud a découvert que cette ville réunit les caractères orientaux et occidentaux, allie tradition et modernité, ainsi que dynamisme et sérénité.

Lors de sa première visite à Suzhou en 1981, M. Vergnaud a été attiré par cette ville historique, l’un des hauts lieux de la littérature classique chinoise. Considérée comme l’un des « paradis » terrestres dans un proverbe chinois, Suzhou représente la prospérité de la culture urbaine, l’abondance des produits, la beauté de la nature et des gens, ainsi que l’art de vivre à la chinoise.

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Un parc à Suzhou

Installé à Suzhou depuis 2010, il peut constater chaque jour les efforts de cette ville historique pour instaurer un merveilleux équilibre entre tous les éléments qui la composent, de la préservation de la ville ancienne à la modernité des quartiers périphériques. « Ce qui est encore plus précieux et étonnant à mes yeux, c’est la manière dont Suzhou a réussi à préserver une atmosphère de tranquillité et de paix sans renoncer pour autant à son développement économique ou à la modernité », indique M. Vergnaud.

« Suzhou est un lieu de rêve où l’on peut à la fois découvrir l’immensité de la culture et de l’histoire chinoises, poursuivre une carrière internationale ou profiter d’une vie paisible. Que peut-on demander de plus ? »