Le cloisonné, entre développement et innovation

2022-05-31 09:58:13|La Chine au présent

En décembre 2019, lors de sa visite en Chine, l’ancien président français François Hollande a reçu un vase en cloisonné « Floraison des fleurs comme une pièce de brocart », conçu et fabriqué par la Fabrique d’émail de Beijing.

Sur la ligne 14 du métro de Beijing, la station Jingtai ressemble à toutes les autres, mais à l’intérieur, on y trouve une fresque géante de 3,2 m de haut et 20 m de large détaillant le processus de fabrication du cloisonné. En pénétrant plus en avant, on constate que les énormes piliers blancs sont recouverts de décorations qui mettent en valeur cet artisanat traditionnel chinois. Il se caractérise par des ornements en forme de lotus, des lignes fluides et des coloris riches et variés.

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La station de métro a ouvert ses portes fin 2015 et toutes les décorations en cloisonné ont été conçues et produites par la Fabrique d’émail de Beijing qui se situe non loin de la station. « Nous avons souhaité faire découvrir la beauté de l’artisanat du cloisonné en les intégrant dans la station », a expliqué Zhong Liansheng, directeur général et artisan chevronné de la Fabrique d’émail de Beijing, remarquant que la fresque murale montre les étapes de la fabrication du cloisonné durant la dynastie des Yuan (1271-1368).

Le cloisonné prend pied en Chine

La technique de l’émail cloisonné nécessite un procédé long, raffiné et compliqué qui compte de nombreuses étapes de fabrication, avec le martèlement, l’entrelacement de fils de cuivre, la soudure, le remplissage d’émail, plusieurs étapes de cuisson et de polissage, et finalement la dorure. Le cloisonné de Chine est originaire de la dynastie des Yuan. Il était populaire lors du règne de Jingtai, le 7e empereur de la dynastie des Ming (1450-1456), d’où son nom chinois jingtailan, qui signifie « bleu de Jingtai ».

« Le cloisonné est en fait un produit importé. Après son introduction en Chine, il y a eu de nombreuses innovations dans les motifs et les couleurs », a raconté Li Jing, directrice de la conception de la fabrique. L’élégance du cloisonné tient à son style et aux métaux (or, argent et cuivre) principalement utilisés. En raison du coût, seule la cour impériale pouvait en faire l’acquisition. Durant le règne de l’empereur Qianlong de la dynastie des Qing (1736-1796), un bureau des manufactures a été créé pour la fabrication du cloisonné, de la laque sculptée, de l’incrustation de laque dorée et d’autres formes d’artisanat.

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Après la dynastie des Qing, le bureau a été supprimé et les artisans se sont dispersés. En raison de la pénurie de matériaux, la technique a commencé à se perdre jusqu’à s’éteindre. « Au début de la fondation de la République populaire de Chine en 1949, Lin Huiyin, une architecte chinoise spécialisée dans les arts et métiers, a créé une section à l’Université Tsinghua en charge du sauvetage de l’art du cloisonné », a expliqué Mme Li. La Fabrique d’émail de Beijing a été créée en 1956 par la fusion de plus de 40 ateliers privés.

En 2006, la technique de fabrication du cloisonné a fait partie du premier lot d’inscription sur la Liste nationale du patrimoine culturel immatériel de la Chine. En tant que base nationale de protection et de transmission de ce patrimoine, le savoir-faire de la fabrique a recherché le développement dans l’innovation. En 2012, l’Axe central de Beijing a été inclus dans la Liste préliminaire du patrimoine culturel mondial de Chine, et l’année suivante, la fabrique a reçu une commande pour cette occasion. L’apprentie de Li Jing, Zeng Jie, y a participé. « Le cloisonné a pu être sélectionné parmi les Huit merveilles de Yanjing (ancien nom de Beijing), ce qui démontre sa valeur artistique », a-t-elle noté. Mme Zeng a recueilli toutes les données sur l’architecture de l’Axe central de Beijing pour en étudier l’histoire et se familiariser avec les détails en termes de conception. Au cours de cette période, le plan a été déterminé après plusieurs séminaires et des discussions avec des experts. Il a fallu cinq ans pour mener à bien ce projet d’une surface de 72 m2 et le livrer au Centre culturel de l’arrondissement de Dongcheng qui venait d’être construit.

Le savoir-faire du cloisonné chinois jouit également d’une réputation internationale. Il a souvent été offert à des amis étrangers comme cadeau national. M. Zhong a déclaré que leurs produits étaient non seulement exportés, mais que des équipes d’Iran et d’autres pays étaient également venues spécialement pour utiliser les matières premières et les équipements afin de fabriquer des produits de consommation courante avec leurs caractéristiques nationales.

Un artisanat bien vivant

« Afin de développer les techniques traditionnelles, nous devons suivre les tendances du marché et innover », a estimé M. Zhong. Ainsi, pour accroître ses débouchés, la fabrique s’efforce depuis quelques années d’innover tout en se lançant dans l’exploration et l’élargissement du champ d’application de la technologie. Ses produits sont visibles aussi bien à l’Aéroport international de la Capitale que dans les grands hôtels de luxe, tout comme ils ont été exposés à l’Exposition internationale d’importation de Chine à Shanghai et à l’Exposition horticole internationale de Beijing.

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Mis à part ces œuvres, on trouve aussi de plus en plus de produits de consommation courante comme les décorations de portes de villa, de porches, ainsi que des boîtes à savon et des cadres de miroir. La fabrique a développé plus de 60 types d’émaux sans plomb respectueux de l’environnement et de nouvelles couleurs de glaçure, permettant au cloisonné de figurer sur les emballages extérieurs de produits de marques haut de gamme.

Depuis l’épidémie, la baisse de la demande internationale a également permis à la fabrique d’apporter des changements dans sa façon de penser, d’innover et de promouvoir de nouveaux designs. Le bâtiment de la fabrique abrite un musée du cloisonné au 2e étage, et au 1er étage, l’atelier de production ouvert au public, lui permettant d’en savoir plus tout en mettant la main à la pâte. Avant l’épidémie, on y organisait souvent des marchés nocturnes du patrimoine culturel immatériel, des grandes foires et des fêtes de temple. Outre des cloisonnés, les marchés nocturnes présentaient également d’autres savoir-faire traditionnels comme du papier découpé et des cerfs-volants, qui étaient extrêmement prisés.

Un patrimoine pour les générations futures

Mais cette réussite n’a pas été une promenade de santé. Comme beaucoup de savoir-faire traditionnels, le cloisonné est confronté au manque d’artisans et à la difficulté de la transmission. Li Jing a étudié cet artisanat dans sa jeunesse. Une fois diplômée, elle a été affectée dans la Fabrique d’émail de Beijing jusqu’à sa retraite il y a quelques années. En raison du manque d’artisans chevronnés, elle a été réembauchée. « Il s’agit d’un processus de fabrication purement manuel, et certaines personnes travaillent toute leur vie dans une seule étape de ce processus, comme la coloration. L’apprentissage est long et les bénéfices qu’on en retire sont faibles, et donc peu de jeunes veulent apprendre ce savoir-faire. »

La fabrique comptait à l’origine plus de 3 000 employés. Avec la restructuration, les départs à la retraite et la délocalisation, il ne reste plus que 200 employés au siège de Beijing.

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Mme Zeng est l’une des apprenties les plus remarquables de Li Jing. Après avoir obtenu son diplôme dans le design, elle a rejoint l’équipe. « Quand j’y suis venue pour la première fois, j’ai aimé la forte atmosphère artistique qui y régnait. Même si le salaire était bas, j’ai décidé de rester pour y travailler. » Dix années plus tard, elle fait toujours figure de débutante. « C’est un secteur très difficile, mais je préfère le sentiment d’accomplissement et de reconnaissance que me procure mon travail. » De moins en moins de gens veulent étudier ce savoir-faire traditionnel, explique-t-elle, car en plus de la pression matérielle, les jeunes veulent exprimer librement leur personnalité. « Le cloisonné est un artisanat traditionnel. Lorsque vous vous lancez, vous devez suivre le style du maître pour apprendre. Vous devez respecter la tradition avant de pouvoir innover. De nombreux jeunes étudiants en design souhaitent pouvoir travailler dans un secteur sans entrave. »

Le développement de la fabrique doit aussi s’adapter aux exigences de protection de l’environnement de plus en plus strictes. Les fours au charbon qui prévalaient depuis le début des années 1970 ont été progressivement remplacés par des fours électriques et des fours à gaz liquéfié. Depuis 2003, dans le cadre de sa transition énergétique, le gaz naturel est utilisé, à la fois respectueux de l’environnement et économe en énergie, ce qui répond non seulement aux exigences de protection de l’environnement, mais améliore également la qualité du produit.

La formation des talents pour cet élément du patrimoine culturel immatériel se développe. Des jeunes comme Mme Zeng peuvent continuellement améliorer leur pratique et recevoir des titres honorifiques très prisées comme celui de technicien, de technicien supérieur, voire de maître des arts et métiers de Beijing.

« Chaque fois que nous réalisons un cloisonné, nous espérons qu’il deviendra un élément du patrimoine dans le futur », a expliqué Zhong Liansheng.