Corentin Delcroix, un chef français passionné par la cuisine fusion à Shanghai

2022-07-27 08:54:42|La Chine au présent

« Ajoutez au riz glutineux trempé (600g) de la sauce soja claire (60g), de la sauce soja foncée (10g), du sel à la truffe (6g), du sucre (6g), trois cuillères de graisse de canard et une cuillère de sauce à la truffe, puis mélangez bien le tout. Faites bouillir les feuilles de bambou pendant cinq minutes et détachez la chair d’une cuisse de canard confite… »

Cette délicieuse recette, Corentin Delcroix l’a présentée en vidéo sur les réseaux sociaux, le 3 juin. Le chef français, qui vit à Shanghai depuis 12 ans, n’a pas choisi ce plat ni cette date au hasard : le zongzi est un mets typique de la fête des Barques-Dragons, une tradition chinoise célébrée le 5e jour du 5e mois lunaire.

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Corentin Delcroix (Capture d'écran d'une vidéo publiée par Xinhua)

Ce zongzi à la française, soit un zongzi à la cuisse de canard confite, a été bien accueilli par les internautes, comme la variante au bœuf au vin rouge qu’il avait partagée l’année dernière. Fin connaisseur de la cuisine française et chinoise, Corentin Delcroix, plus connu sous le nom de Chef Guangtan en Chine, publie souvent des vidéos pour expliquer des recettes autour de la cuisine française et de la cuisine fusion. Diplômé de l’Institut Paul Bocuse, établissement de réputation mondiale, il dirige également une entreprise spécialisée dans la recherche alimentaire à Shanghai.

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Zongzi 

Une initiation à Beijing

En 2002, M. Delcroix, à l’âge de 20 ans, s’est rendu pour la première fois en Chine, plus précisément à Beijing, pour suivre des études en administration des affaires. Dès son arrivée, le jeune homme est tombé amoureux de la cuisine chinoise. À l’époque, il a pris des cours de cuisine chinoise avec sa colocataire, Mme Zhang. Aujourd’hui encore, il se souvient que le premier plat qu’il a appris avec elle était des œufs sautés à la tomate.

« Ce plat est pour moi un superbe exemple de la beauté de la cuisine familiale chinoise : les ingrédients sont très simples, il n’est pas difficile à faire mais est tout de même facile à ‘‘mal faire’’, il est appétissant et réconfortant mais ne nécessite pas de dressage compliqué, tout en affichant une beauté simple avec de jolies associations de couleurs », indique le chef français. Il a également appris avec Mme Zhang à préparer une casserole de tofu avec des fruits de mer, du pétoncle séché, etc. Il en garde un très bon souvenir, car les notes umami apportées par ce fruit de mer séché ont été une découverte très intéressante pour lui.

Pendant ses études à Beijing, M. Delcroix a eu l’opportunité de visiter beaucoup de régions en Chine, du nord-est au sud-est, en passant par les provinces centrales. Ces voyages lui ont permis de prendre conscience de l’immensité et de la diversité du pays.

De retour en France quatre ans plus tard, il a trouvé un emploi dans une banque, mais sa passion pour le monde gastronomique n’a fait que grandir. Finalement, il a décidé de se réorienter vers la cuisine et d’apprendre la cuisine française à l’Institut Paul Bocuse.

« À cette époque, mon rêve était de travailler quelques années en France pour faire mes armes, puis de revenir en Chine et d’ouvrir un restaurant français autour de la cuisine de grosses pièces de viande, de poissons entiers, de gros rôtis, etc. C’est une cuisine très présente en France, mais, qui je le pensais, pourrait résonner avec le public chinois », se souvient-il. Après deux ans et demi d’études à l’Institut Paul Bocuse, il a été admis à l’Auberge de l’Ill, un restaurant alsacien étoilé au guide Michelin.

Pendant l’Exposition universelle de Shanghai de 2010, l’Institut Paul Bocuse a ouvert une succursale à Shanghai. Corentin Delcroix a saisi cette opportunité pour retourner en Chine et a travaillé en tant que directeur adjoint puis sous-chef de l’Institut à Shanghai.

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Un dessert

« Voir les étudiants français ravis de partager les bases de la cuisine française avec les étudiants chinois, et ces derniers emmener les Français découvrir la ville et la cuisine chinoise après le travail, c’était une expérience extrêmement enrichissante d’un point de vue humain. C’était un exemple parfait du pouvoir de la gastronomie à créer des liens et des amitiés fortes », souligne M. Delcroix. En cinq ans, il a formé plus de 500 cuisiniers chinois, qui affichent la même passion pour la cuisine que lui.

Association de la cuisine et de la culture

De l’avis de M. Delcroix, la Chine et la France sont deux pays qui ont des cultures gastronomiques très fortes et qui ont une vaste influence à travers le monde. La gastronomie est profondément ancrée dans la culture des deux pays. Le grand nombre d’expressions et de dictons liés à la cuisine en français et en chinois en sont un parfait exemple. Les deux nations partagent également une impressionnante diversité dans leur patrimoine culinaire. La France présente une variété culinaire énorme entre les régions, et la Chine, de par sa taille, la multiplicité de ses climats et de ses habitats, représente un panel immense en termes de pluralité culinaire.

Ayant vécu en Chine pendant 17 ans, M. Delcroix a eu l’opportunité de découvrir énormément de produits qui ne sont pas communs en France, par exemple, les œufs de cent ans, le meigancai (légume fermenté sec) de Shaoxing et la sauce de piment fermenté de Pixian, mais aussi des techniques culinaires comme les crevettes ivres, une technique très intéressante qui, selon lui, peut parfaitement être intégrée d’une autre façon dans la cuisine française. « Toutes ces choses sont passionnantes à découvrir et, bien sûr, ce sont de grandes sources d’inspirations », confie-t-il. « Pour moi, le côté créatif en cuisine est quelque chose qui n’est pas du tout donné mais qui a besoin d’être constamment nourri. Par conséquent, il est nécessaire de garder un esprit ouvert et curieux, et tout peut devenir une inspiration. »

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Galettes au meigancai

« Pour qu’un plat fusion soit réussi, il faut d’abord comprendre les ingrédients, comment ils sont utilisés par les cuisiniers locaux et pourquoi ils le sont de cette façon. L’aspect culturel est important », insiste-t-il. Pour une émission, il a créé un tournedos Rossini avec du meigancai de Shaoxing. Selon lui, dans la cuisine chinoise, le meigancai est presque toujours associé à des viandes grasses, il a la faculté d’absorber beaucoup de gras, et celui-ci permet d’exalter sa saveur, qui a un léger goût terreux et fermenté avec une pointe sucrée. Dans la cuisine française, le tournedos Rossini marie un filet de bœuf avec une tranche de foie gras poêlé et une sauce à la truffe. La truffe et le meigancai ont une certaine ressemblance d’un point de vue gustatif, et le foie gras apporte le gras nécessaire au meigancai. Cette association est très naturelle et a connu un grand succès.

Un vlogger culinaire qui prend son envol

En 2019, vu le développement fulgurant des nouveaux médias en Chine, M. Delcroix a commencé à enseigner la cuisine française et des plats fusions sur les réseaux sociaux. En trois ans, il a attiré près de cinq millions d’abonnés. Chaque jour, des millions de fans attendent qu’il cuisine et détaille la confection de ses plats, avec son mandarin reconnaissable entre mille – il parle au deuxième ton. Citons le porc effiloché aux poivrons verts, les escargots à la française, le riz gluant aux pommes...

Étant donné que le public auquel il s’adresse en ligne est beaucoup plus large que dans un cours classique, M. Delcroix prend beaucoup plus en compte, dans le choix des recettes, les limitations que certaines personnes n’habitant pas dans les grandes villes peuvent rencontrer en termes d’ingrédients et de matériel, surtout pour les recettes de cuisine française. « Il est important de trouver la balance entre donner une recette authentique et partager une recette que le public pourra reproduire à la maison », fait-il remarquer.

Résidant en Chine depuis plus d’une décennie, il a pu constater la transformation du pays au quotidien. L’un des changements flagrants qu’il observe, en tant que cuisinier, est l’accessibilité de différents produits étrangers, la diversité et la qualité du milieu de la restauration dans une ville comme Shanghai, et l’évolution des habitudes alimentaires entre la génération précédente et la jeunesse actuelle.

Shanghai est à ses yeux une ville très accueillante, facile à vivre et agréable malgré sa taille gigantesque. Il trouve qu’il est aisé d’y retrouver des liens avec son pays d’origine, que ce soit d’excellents restaurants français, un délicieux fromage français ou un bon bar à vin, etc. Tout cela est à portée de main dans cette métropole, qui l’a beaucoup impressionné par son dynamisme et son ouverture. « Étant entrepreneur, j’ai l’occasion de voir au jour le jour à quel point Shanghai est une ville avec un environnement parfait pour créer sa société. »