Un axe historique en devenir

2022-08-23 14:05:48|La Chine au présent

« Si les villes se transforment au cours de leur histoire, les habitudes locales résistent aux forces qui tendent à les transformer », nous disait le sociologue Maurice Halbwachs. La ville est un écosystème complexe, une superposition de plans qui est en réajustement constant. Les axes urbains des villes en sont souvent le symbole. Ils représentent une histoire en perpétuelle évolution, une mémoire qui se mue au cours du temps. Cette mémoire peut être partiellement préservée, effacée ou bien recréée. Elle est souvent d’origine politique, se matérialise dans la construction d’axes symboliques, comme ce fut le cas pour Beijing. 

Historique de l’Axe central de Beijing 

Le plan d’urbanisme de la ville de Beijing est basé sur le Registre des métiers (Kaogongji), un ouvrage sur les sciences et les technologies. Ce document a été rédigé à l’époque de la dynastie des Zhou (1045-256 av. J.-C.) et fait partie de Rites des Zhou (Zhouli), l’un des classiques du confucianisme. Il définit les principes d’aménagement d’une ville : celle-ci suit un plan orthogonal, puis elle est divisée en des carreaux symétriques par des axes est-ouest et nord-sud. Dans le carreau central, on retrouve le palais administratif (palais de l’empereur, d’un duc, comte, etc.). À Beijing, la Cité interdite est située au centre de la ville, puis est traversée par un axe nord-sud, appelé l’Axe central de Beijing. Cet axe est important d’un point de vue cosmologique, car il relie le Temple de la terre au Temple du ciel en passant par le Palais impérial. L’empereur détient son pouvoir du Ciel, ce qui explique l’importance de cet axe et sa valeur symbolique actuelle pour la ville de Beijing. 

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Tours de la cloche et du tambour

Des bâtiments de valeur patrimoniale et historique sont répartis le long de cette artère. Nous retrouvons notamment du nord au sud, les Tours de la cloche et du tambour, le parc Jingshan, la Cité interdite, la place Tian’anmen, Qianmen, la rue Dashilan et Yongdingmen. 

Plusieurs développements urbains ont marqué cet axe au cours de son histoire. En effet, Tian’anmen (porte de la paix céleste) qui avait originellement pour nom Chengtianmen (porte de l’acceptation du mandat céleste) a été construite en 1420, mais fut détruite plusieurs fois. Lors de sa reconstruction en 1645, elle prit le nom de Tian’anmen et une place fut créée. Comme l’explique le chercheur Wang Jun dans son livre Beijing Record (Chengji), la taille de la place Tian’anmen a été quadruplée en 1949 lors de la fondation de la République populaire de Chine. 

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Place Tian’anmen

Au moment des Jeux olympiques de 2008 à Beijing, une nouvelle phase de projet a débuté : de nouveaux bâtiments ont été érigés le long de cet axe, notamment le Grand Théâtre national de Chine. L’axe a également été étendu vers le nord où le Village olympique a été construit. Plus récemment, il a été prolongé vers le sud jusqu’à l’aéroport international de Daxing. 

Ainsi, l’Axe central de Beijing revêt non seulement une valeur historique et patrimoniale, mais il forge également l’identité de la capitale et constitue un axe majeur de développement. 

Un axe vivant, lieu de sociabilité 

Cet axe impressionnant de par son histoire et son architecture ne doit pas devenir une ville musée ; l’espace public et les usages doivent également être pensés pour les habitants. Comme l’historienne de l’architecture et de l’urbanisme Françoise Choay l’a dit : « Le monument a pour but de faire revivre au présent un passé englouti dans le temps. » 

Habitant à côté de l’Axe central de Beijing, je m’y balade souvent tôt le matin. Depuis la Tour du tambour, j’imagine les tambours qui tonnaient autrefois, puis je vais au parc Jingshan, où je regarde la Cité interdite, et où j’observe la ville se réveiller. 

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Grand Théâtre national de Chine

Je me souviens encore de ma première année à Beijing. Quand j’arrivais au parc Jingshan, je voyais souvent des personnes âgées se promener avec leurs oiseaux. Il est agréable dans ces moments de voir comment la population arrive à se réapproprier ces lieux si emblématiques, autrefois réservés à l’empereur ou à la cour impériale. 

Lors de mes balades près de la Tour du tambour, il n’est pas rare que j’aperçoive des enfants s’amuser sur la place, des hommes âgés jouer aux cartes ou bien des femmes âgées danser avec des foulards. Ces différents types de populations se mêlent entre eux, que ce soit des personnes âgées, de jeunes enfants ou bien des touristes. Cet espace devient alors un lieu de sociabilité qui rend cet axe central vivant. 

Ces images deviennent aussi le symbole de la ville, un patrimoine immatériel, et lorsqu’on me pose des questions sur cet axe ou bien sur l’histoire de Beijing, c’est à ces histoires que je pense, à ces récits qui créent l’identité de la ville. 

Lorsque l’on parle d’identité, celle-ci est souvent liée à la question de la mémoire. Ainsi la mémoire peut être préservée, supprimée ou reconstruite. Concernant l’Axe central de Beijing, comment la mémoire de ce lieu peut-elle être préservée et réinventée si elle n’est pas en mesure de répondre aux enjeux climatiques et sociaux ? Proposer une vision avant-gardiste pour la rénovation de l’Axe central de Beijing pourrait être un exemple pour la Chine, mais aussi pour le monde entier du fait de sa valeur symbolique. 

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Aéroport international de Daxing

Répondre aux enjeux du XXIe siècle 

Quand je me promène à Beijing ou à Paris, je me demande souvent si ces lieux aujourd’hui connus mondialement, le seront encore dans les années à venir, ou bien s’ils seront, comme d’autres dans l’histoire, simplement le reflet d’un passé glorieux. 

Quand je regarde l’axe historique de Paris reliant le Louvre à La Défense, je vois un axe majoritairement automobile, tout comme celui de Beijing. L’automobile est un symbole du XXe siècle et est déjà obsolète. Nous sommes tous à présent conscients des problèmes de pollution, de sécurité et d’espaces qu’elle génère dans la ville. 

Afin d’inciter au changement, ces axes doivent être à l’avant-garde des enjeux climatiques et sociaux du XXIe siècle, ils ont à mon sens un devoir de donner l’exemple, d’être instigateurs. Récemment lors de la pandémie de COVID-19, la mairie de Paris a temporairement transformé la rue de Rivoli en un axe cycliste afin de permettre aux populations de se déplacer sans avoir besoin d’une voiture ou de prendre le métro. Ce changement s’est formalisé, il est à présent l’un des axes cyclistes les plus importants de la ville et est devenu un exemple mondial. 

Alors que je me balade à Beijing le long de l’Axe central, je me réjouis des améliorations qui lui ont été déjà apportées. Néanmoins, quand j’arrive au parc Jingshan, je ne peux m’empêcher d’imaginer, parfois, d’autres parties de cet axe transformées en parcs aussi verdoyants que celui-ci, où l’on pourrait entendre des oiseaux chanter, voir des enfants courir librement et des touristes prendre des photos. Et l’on se dirait : « Tu te souviens quand cette avenue était bruyante et remplie de voitures, entourée partout de barrières blanches ? C’est quand même mieux maintenant ! » Ailleurs dans le monde, on penserait : « Et si on faisait comme Beijing ? »  

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Parc Jingshan


*GEORGIES SROUR est urbaniste français qui a fait des études en architecture à Beijing, puis en sinologie et en relations internationales à Paris.