Chengdu : redonner vie aux bâtiments anciens

2023-04-03 15:49:34|La Chine au présent

Chengdu est une ville historique abritant plus de 300 bâtiments anciens. Ils sont comme des empreintes de son urbanisation et des jalons dans son histoire. La municipalité leur redonne de l’éclat depuis quelques années en les valorisant par le biais de la préservation et en leur redonnant un nouveau lustre moderne.

Intégration des bâtiments anciens à la vie moderne

À l’ouest de Chengdu, deux sous-affluents de la rivière Minjiang, le Weijiang et le Pojiang, traversent le mont Qingcheng pour rejoindre la rivière Wenjin au niveau du bourg de Yuantong (district de Chongzhou). Cet avantage géographique en a fait une plaque tournante du transport fluvial. Le commerce fleurissant a permis le développement de six vieilles rues entrecroisées et dominées par six hôtels particuliers et un manoir.

Dans la rue Qilin, la plus animée, se trouvent la demeure de la famille des Luo et celle de la famille des Huang. Construits à la fin de la dynastie des Qing, ces deux complexes ont fusionné les styles architecturaux chinois et occidental, à l’image de la rencontre des deux cultures à l’époque. Malgré des années de silence, ils n’ont pas été laissés à l’abandon car l’essor du tourisme culturel ravive leur splendeur passée.

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Modernisation du quartier Mengzhuiwan

Presque en face de la demeure des Luo, une boutique attire l’attention des jeunes, avec son intérieur dépouillé, des poutres à tenons et à mortaises apparentes et des murs d’argile à armature de bambou, typiques des habitations de l’ouest du Sichuan. Elle arbore un petit tableau peint à l’huile par le patron et une pancarte sur laquelle il est écrit à la main « pains cuits au four maison, thé Oolong parfumé à la pêche et flat white ». Un groupe de jeunes assis autour d’une longue table attendent une fournée de bagels (petits pains ronds) en cours de cuisson. Leur présence dans cet arrière-plan du vieux bourg fusionne le présent au passé.

Pour les citadins, habitués à l’architecture moderne, ces constructions anciennes aux avant-toits incurvés et aux systèmes de consoles emboîtées représentent une beauté distante. Mais cette distance temporelle et spatiale diminue avec l’union du patrimoine culturel à la rénovation urbaine.

Le Weijiang court vers l’est et étend deux bras fins – les rivières Jiang’an et Yangliu – pour entourer le bourg de Wanchun (district de Wenjiang). Selon la légende, le roi Yufu de l’ancien royaume de Shu y aurait, pour délimiter des frontières, fait planter des milliers de saules, qui donnaient chaque année en mars un spectacle printanier. La découverte en 1996 de vestiges de murailles de la cité de Yufu dans ces lieux permet à la légende de rencontrer la réalité.

Dans le bourg de Wanchun, une maison au toit à pignon suspendu, construite à l’orée des champs à la fin de la dynastie des Qing et aujourd’hui entièrement rénovée, a été aménagée en une librairie ouverte 24 heures sur 24. Dans l’antichambre de cette habitation autrefois à quatre pièces, se rangent des bibliothèques ordonnées sur lesquelles on peut trouver beaucoup de livres anciens. Les chambres latérales ont été reconverties en salles de formation au jeu de go et à la calligraphie, où un godet pour le nettoyage de pinceaux et un autre pour la dilution de l’encre sont posés sur le bureau. Dans la librairie, les vases en porcelaine, les tables longues et étroites à objets décoratifs, les peintures sont d’un grand raffinement. Et les bonsaïs, qui évoquent ces arbres séculaires trônant sur des sommets surprenants, représentent parfaitement l’école sichuanaise de cet art de la miniature. Dans la petite cour de derrière, beaucoup de gens profitent du beau temps et s’adonnent à la lecture.

Les rivières Jiang’an et Jinma se jettent dans la rivière Fuhe qui, elle, traverse la ville de Chengdu par l’ouest. Au tournant de celle-ci dans le nord-est de la ville, se trouve un temple millénaire. Il a été construit sous la dynastie des Sui, incendié dans des conflits sous la dynastie des Ming, puis reconstruit sous la dynastie des Qing et rebaptisé temple Wenshu. Le quartier alentour de Wenshufang lui doit son nom.

En 2007, ce quartier a vu une restauration in situ des maisons anciennes aux 28 et 38 rue Zhongbao, et la délimitation d’une zone de conservation de 7,5 ha vers laquelle ont été déplacées plusieurs architectures anciennes parfaitement conservées en formant les cinq complexes architecturaux caractéristiques de l’ouest du Sichuan. Il s’agissait de la première phase du projet de protection et de promotion de Wenshufang.

Une fois les travaux terminés, les spécialités gastronomiques, l’artisanat folklorique et les antiquités ont vite commencé à prospérer dans le quartier, qui a vu s’installer ensuite quatorze enseignes estampillées héritier du patrimoine culturel immatériel, notamment la broderie Shu, les laques et le tressage de bambou, ainsi que des snacks populaires du Sichuan et d’autres commerces ayant trait à la culture traditionnelle à l’instar des tenues traditionnelles han. En 2022, le Wenshufang a connu de nouveaux changements : la deuxième phase du projet de restauration a remis en l’état 15 ruelles et 39 bâtiments, et reproduit un espace urbain quadrillé dans le style des dynasties des Sui et des Tang, en écho au quartier commercial à l’extérieur et son agora.

À Chengdu, les maisons anciennes peuvent présenter des visages protéiformes. Tout est possible entre l’enceinte aux briques grises et l’intérieur aux murs blancs : musées, galeries d’art, hôtels et pourquoi pas boutiques de jouets d’artistes.

La tradition au présent

Les habitants de Chengdu ont pris l’habitude de passer leur temps libre dans des coins où se rencontrent la beauté de la modernité et le charme classique. Même les constructions anciennes les plus en retrait de la ville ont leurs seuils bien lustrés par les entrées et sorties des visiteurs durant plusieurs générations.

Certains préfèrent la tranquillité des architectures anciennes avec leurs vieilles cours et y trouvent refuge, sous l’ombrage des arbres centenaires dans le parc du Peuple ou dans les vieux salons de thé à côté du temple Wenshu. Ils connaissent sur le bout des doigts tous les itinéraires à remonter le temps, d’une habitation moderne à une construction ancienne.

D’autres aiment dénicher de petites boutiques fantaisie dans de vieilles rues et sont désireux de rencontrer de nouveaux amis en communion d’esprit. Il y a aussi ces jeunes qui se complaisent à suivre les recommandations des différents guides pour visiter des sites historiques répertoriés un par un.

Et les enfants savent depuis tout petit à quel point les gâteaux de la Cour impériale qu’on vend devant la porte du temple Wenshu sont délicieux et ils veulent savoir vers où se sont envolées les libellules du parc du lac Gui. Dans le cœur des habitants de Chengdu, ces vieux bâtiments enracinés dans le tissu urbain semblent n’avoir jamais quitté la scène. Porteurs de mémoires de la ville, ils incarnent désormais un rôle nouveau dans la vie urbaine.

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La ruelle Chongdeli fonsionne le présent au passé.

Aux yeux des locaux, les bâtiments historiques ne font pas que commémorer le passé, car ils interagissent également avec le présent. L’architecte natif Zhuang Yuguang ne se contente pas d’étudier la restauration des bâtiments anciens, mais tâche de les intégrer dans les quartiers modernes. Il a lancé très tôt le concept de « renouveau de l’histoire ».

Il y a dix ans, le complexe commercial Taikoo Li Chengdu, créé avec sa participation, a remporté la médaille d’argent du « Meilleur projet de rénovation urbaine 2012 » décernée par le MIPIM Asia Awards. La conception a cassé les codes en intégrant un groupement d’architectures anciennes dans le quartier commercial ouvert, où des centres commerciaux coexistent en harmonie avec un temple millénaire.

Li Yunzhang, expert en architecture ancienne du Bureau provincial du patrimoine culturel du Sichuan, a étudié la question de l’activation des quartiers historiques pendant plus de dix ans. Ces deux dernières années, il a consacré plus d’énergie à l’aménagement des quartiers d’habitation dans le bourg de Peng.

Cette petite localité située au nord-ouest du district de Shuangliu s’est développée autour de six temples, un pavillon et trois halls de guilde, grâce au trafic fluvial et à la convergence de cultures depuis la dynastie des Ming. Le vieux salon de thé Guanyinge respire la vie simple et sobre, reflétant l’insouciance des habitants locaux, qui n’ont pas quitté les lieux à la différence de la plupart des bourgs anciens à vocation touristique. Les plantes dans leurs patios prospèrent et sont soigneusement entretenues. Leurs maisons multigénérationnelles, réparation après réparation, sentent toujours la vie.

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Devant le temple Daci se trouve le complexe commercial Taikoo Li Chengdu.

Intégrer le nouveau dans la restauration de l’ancien, telle est la question d’urbanisme qui préoccupe le plus Li Yunzhang à l’égard du bourg de Peng. Une suture des tissus urbains nécessite de nouvelles activités commerciales et sociales capables de relier les gens et les espaces. Li Yunzhang et son équipe ont étudié de nombreux modèles de rénovation pour les vieux bourgs et rues.

En 2022, des travaux de rénovation de la rue Citang ont été mis en place dans le district de Qingyang. Considérée comme source des arts dans le sud-ouest de la Chine, cette vieille rue avait perdu depuis longtemps son attrait plein d’inspiration d’autrefois, et était devenue un fouillis. Il était difficile d’imaginer, quand on ignorait son histoire, qu’au début du siècle dernier, elle abritait 70 % des librairies de Chengdu, réunissait différents journaux et périodiques, ainsi que des associations littéraires et artistiques, et avait vu la fondation du cinéma Sichuan. Au 38 de la rue, siégeait le bureau de Chengdu du quotidien Xinhua, et à côté au 42, se situait le salon de thé Jinqiu.

Aujourd’hui remise en meilleur état, elle va accueillir l’installation de nouveaux commerces. Afin de lui restituer son élégance passée, l’ancien site du journal sera reconstitué dans une librairie, un musée des beaux-arts à toiture en pente avec un jardin en contrebas sera construit place Houjie et le salon de thé Jinqiu offrira de nouveaux produits et services.

Dans The Invention of Tradition, Eric Hobsbawm conclut que la tradition n’est pas une relique immuable transmise depuis l’antiquité, mais une création vivante de l’homme contemporain. Les urbanistes et les architectes doivent apporter de la nouveauté aux bâtiments anciens de Chengdu lors de leur rénovation.


*Li Kexin est journaliste à Chengdu Culture.